Un Pique-prune dans le bocage
Pique-prune, Barbot ou encore Osmoderme (Osmoderma eremita), tel est le nom pour désigner la plus grande cétoine de France et même d’Europe. Mais qu’est-ce qu’une cétoine me direz-vous ? Il s’agit d’une famille de coléoptères, dont les larves ont la particularité de se développer dans le bois mort en cours de décomposition. Le bois mort étant peu nutritif, les larves vont mettre deux à trois ans avant de se transformer. Les adultes, qui ne vivent que quelques semaines à quelques mois, selon les espèces, sont soient floricoles (se nourrissent sur les fleurs, on les trouve régulièrement sur l’Eglantier, la Carotte sauvage, le Cirse des champs, etc.) ou bien se nourrissent de fruits bien mûres (voir pourri) ou de suintements de sève sur les arbres. La plupart des espèces sont assez discrètes, hormis la Cétoine dorée et la Cétoine funeste, et sont principalement actives lors des belles journées ensoleillées.
Portrait de familles
Attention, il ne faut pas confondre les Cétoines adultes avec les Bousiers, qui ont un peu la même forme et parfois des couleurs aux reflets métalliques mais n’ont pas du tout la même écologie et les Cétoines au stade larvaire avec celles des Hannetons que l’on retrouve dans le sol.
Revenons à notre Pique-prune, connu surtout en Sarthe pour avoir stoppé momentanément les travaux de l’A28 (Tours et Le Mans) car le tracé passait sur des zones de bocage et des zones à Châtaignier nauzillard qui accueillaient de nombreuses populations de Pique-Prune.
Mais pourquoi tant d’agitation autour de ce coléoptère ?
C’est parce que son habitat est particulier. En effet, les larves de cétoines se nourrissent dans le bois en décomposition, mais la larve de Pique-prune, elle se nourrit plus précisément du bois mort sur le pourtour des cavités qui accueille un volume de terreau important (supérieur à 10 L). Le terreau étant le bois décomposé issu de l’activité de certains organismes comme les champignons à carpophores sur le bois de cœur (duramen) à l’intérieur de l’arbre. Les cavités se développent sur un arbre soit de façon naturelle : branche cassée issue d’un coup de vent, en général sur de vieux sujets, soit de façon artificielle suite à des coupes répétées comme la mise en têtard d’arbres ou la formation des vergers de hautes tiges par exemple. Le processus de formation des cavités est long, il faut ainsi plusieurs décennies pour qu’une cavité ait suffisamment de terreau et en plus certaines conditions intra-cavité (température, humidité, etc.) pour pouvoir accueillir une population de Pique-prune. Vous l’aurez compris le Pique-prune est quelque peu exigeant !!! De plus il n’est pas particulièrement très mobile, les Piques-prunes passent toute leur vie dans la cavité. Certains adultes un peu téméraires peuvent s’en éloigner pour se reproduire et s’installer dans de nouveaux arbres mais la distance est rarement plus élevée que 500 m. Ces spécificités font de lui une espèce fragile et menacées au niveau mondial d’où son statut d’espèce protégée.
Où trouve-t-on le Pique-prune ?
Le Pique-prune est présent dans l’ouest et le centre de l’Europe, du nord de l’Espagne au Sud de la Norvège jusqu’en Ukraine. On le trouve dans les zones qui concentrent les vieux arbres comme les boisements et forêts avec des de très vieux peuplements de feuillus (chênes, châtaigniers, saules, frênes) comme la forêt de Bialowieza entre la Pologne et la Biélorussie et, plus proche de chez nous, certains secteurs de la forêt de Bercé (bien évidemment les peuplements sont moins âgés). Avec la régression des zones boisées et l’évolution des pratiques sylvicoles (les arbres sont abattus de plus en plus jeune ainsi les arbres à l’état naturel n’ont plus le temps de développer des cavités favorables à l’accueil du Pique-prune avant leur coupe), le Pique-prune a donc dû s’adapter pour trouver des milieux de substitution. Les zones bocagères avec des arbres à cavité sont donc devenues en France les milieux les plus utilisés. Ainsi on retrouve dans le sud-Sarthe les vieux châtaigniers greffés mais également les arbres têtards présents un peu partout dans le département et notamment dans le nord de la Sarthe où les réseaux de haie sont très denses.
Alignement d’arbres têtards
Depuis 2018, le CPIE accompagne la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire en Sarthe pour la réalisation d’inventaires sur le Pique-prune sur deux sites Natura 2000 du Nord de la Sarthe : Bocage à Osmoderma eremita entre Sillé-le-Guillaume et la Grande Charnie et Bocage à Osmoderma eremita au nord de la forêt de Perseigne. L’objectif étant de mieux connaître la répartition des arbres occupés par le Pique-prune sur ces deux sites afin de mettre en évidence les connexions ou les isolations de populations mais aussi la présence d’arbres à cavité potentiellement favorable. Les premiers résultats mettent en évidence que sur l’ensemble des arbres à cavité inventoriés, seulement 0,1 % accueillent une population de Pique-prune et que plus de 50% de ces arbres présentent des signes de dépérissement. Du fait de l’évolution des pratiques agricoles depuis une cinquantaine d’années, l’usage agricole de l’arbre têtard n’a pas perduré, ainsi par manque d’entretien ces arbres se sont fragilisés et risquent de dépérir d’ici quelques décennies. La création d’arbres têtards n’ayant repris que depuis une vingtaine d’années les cavités ne sont pas près d’être favorables à l’accueil du Pique-prune… Ainsi la situation ne semble pas très optimiste quant au maintien des populations de Pique-prune dans nos campagnes sarthoises d’ici une cinquantaine d’années. Néanmoins plusieurs expérimentations sont en cours notamment en Suède mais aussi en Sarthe avec le concours du Département de la Sarthe sur la mise en place de gîtes artificiels qui pourraient servir de relais le temps que les arbres têtards nouvellement créés puissent développer des cavités qui soient favorables à la venue du Pique-prune.
Pique-prune prêt pour l’envol
Article rédigé par Morgane Sineau, Chargée de mission Eau et Biodiversité – Coordinatrice des actions Biodiversité au CPIE
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